L’âgisme : une discrimination qui dérange ?

Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques en raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Article L-225-1 du Code Pénal.

La question de l’âgisme est peu abordée y compris dans les milieux plutôt prompts à dénoncer les discriminations. Au contraire si les propos et attitudes sexistes, homophobes, racistes, sont heureusement vigoureusement combattus, ceux sur l’âge sont présents, banalisés mais invisibles car il n’y a pas eu le travail de mise en visibilité qui existe à propos des autres discriminations.

Imagine-t-on notre réaction à des propos comme « c’est une femme au volant, c’est forcément dangereux ». Ou encore « j’ai rien contre les homos, mais ils pourraient faire leur courses à d’autres horaires où ils sont plus entre eux »… et ainsi plein d’autres… Or dans la société les propos discriminatoires, positifs ou négatifs, sur la personne âgée ou les personnes plus vieilles sont omniprésents… et banalisés.

Les exemples peuvent être nombreux : « tu sais X est gentil, mais il commence à avoir de l’âge… » Ou encore « M a tel âge, elle fait encore son footing tous les matins, c’est dangereux, non ? ». C’est la version gentille de l’âgisme, comme il existe un racisme qui se veut bienveillant. Dire « le vieux, le petit vieux, le papy » ce n’est pas forcément malveillant, mais cela relève de la même chose, que de dire « le pédé, le négro » à un moment donné c’est pour inférioriser où différencier, essentialiser une personne à une caractéristique et aux préjugés qui l’accompagnent. Mais il existe aussi des versions plus brutes, « Y tel homme ou femme politique, tu as vu l’âge qu’il a ? Faut qu’il arrête, faut laisser la place aux jeunes… ». Ne serait-ce que la proposition en 2012 d’Arnaud MONTEBOURG qui voulait interdire la députation aux personnes de plus de 67 ans ! Citons encore Martin HIRSCH qui en 2010 a déclaré : « Il faut refaire le suffrage censitaire et donner deux voix aux jeunes quand les vieux en ont qu’une. Il faut donner autant de voix qu’on a d’années d’espérance de vie. […] Quelqu’un qui a 40 ans devant lui devrait avoir 40 voix, quand celui qui n’a plus que 5 ans devant lui ne devrait avoir que 5 voix. »

En fait, derrière ces propos, il suffirait que l’on remplace par la couleur de peau, le sexe, l’orientation sexuelle et nous serions tous choqués.

Rappelons que la discrimination par l’âge, dans les propos et dans les actes, est interdite par la loi, insuffisamment combattue et tolérée par trop de gens, voire prônée par des gens qui se disent très progressistes.

Derrière ces propos et attitudes, il y a différentes causes qui se croisent. La plus importante est celle de l’infériorité supposée de la personne âgée (préjugés) et l’absence de réflexion dans les mouvements démocrates de la question de l’autonomie fonctionnelle (les notions de dépendance et d’indépendance).

Les discriminations liées à l’âge sont comme les autres punies par la loi de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Celle que l’on a le plus à l’esprit est celle sur l’emploi : l’âge, trop jeune ou trop vieux, ne peut pas faire l’objet d’une discrimination à l’embauche ou à l’évolution de carrière. Et pourtant combien d’annonces d’emploi : « cherche jeune et dynamique » qui laissent indifférents, imagine-t-on « cherche français blanc et dynamique » ou « cherche personne sans handicap » ?

Les actes, comportements et constructions âgistes…

Le rejet physique et ségrégation spatiale

Nos sociétés sont des sociétés vieillissantes et l’image véhiculée de ce qu’est la norme reste l’homme ou la femme de 25/30 ans en pleine forme physique et correspondant à des critères de beauté précis.

Les ségrégations spatiales sur le racisme et le sexisme ont été étudiées et sont combattues. Mais pour l’âge nous n’en sommes même pas encore conscients.

Plus une personne est âgée, plus lorsqu’elle est dans un lieu qui ne lui serait pas dédié (maison de retraite, centre de soin, épiceries…) plus elle est regardée et se sent regardée. Notre société, nos lieux de vie, de travail de loisirs, sont très cloisonnés. Sans que cela soit dit ou écrit, les tranches d’âge ont leurs lieux attribués et toute personne qui s’est trompée le ressent très vite. Il en est de l’âge comme il en est de la couleur de peau ou du sexe : Que fait-il (elle) là ?

Plus l’âge avance et est perçu par autrui, plus les lieux se restreignent où le vieillissant se sent mal à l’aise : boîte de nuit, salle de concert, cafés, restaurants, supermarché, magasins, services publics (poste, impôts) et excluent les personnes qui se sentent de plus en plus mal à l’aise et renvoyées à leur âge. Le fait pour certains de refuser de vieillir dans l’apparence n’est pas une simple coquetterie, mais le refus de par le regard que porte les autres sur son corps et visage de voir son espace de mobilité restreint. Il faut se battre pour conserver son espace dans la société ! Et certains fatiguent et finalement abandonnent, reculent.

Attention cette ségrégation spatiale est parfois anticipée. Dès l’âge de trente ans certains peuvent ne pas se sentir à l’aise dans des cafés ou des salles de concerts.

L’inverse existe aussi, je citerai une personne de près de 70 ans, qui, vivant en foyer logement se sentait harcelée moralement car les autres résidents, âgés majoritairement de 85 à 95 ans lui renvoyait sans cesse, sa différence d’âge, sa jeunesse : une génération d’écart.

Quoiqu’il en soit, bien que de plus en plus nombreuses en valeur absolue, les personnes âgées, s’excluent car se sentent exclues, par le regard, par des propos, par de la stigmatisation (souvent bienveillante) qui font qu’elles s’isolent chez elles. La nuance va se faire en fonction des territoires où plus la présence visible des personnes âgées est élevée comme dans certaines campagnes, plus l’isolement se construit tard.

Plus les personnes vieillissantes s’isolent, moins elles sortent de chez elles et plus il en découle des problématiques physiques comme psychologiques très importantes. Manque de stimulation physique et cognitive, mauvaise nutrition, produisent nombre de pathologies physiques et des pathologies comme les dépressions qui elles mêmes produisent ou amplifient des pathologies. Il est paradoxal qu’avec l’augmentation du nombre de personnes âgées dans la cité, celles ci se sentent exclues.

Les média et l’imaginaire collectif modifient la réalité : les « vieux dépendants » qui ont besoin de protections (improprement nommé couches) ou d’autres aides techniques ont 50 ans dans les publicités ! Il n’est pas imaginable de montrer des personnes de 95 ans pour vendre…Comment se perçoit-on et finalement s’estime-t-on quand nous sommes invisibles dans le miroir médiatique ?

Leur (notre) vieillesse n’a pas d’âge. Sauf pour deux personnes sur la planète sur un temps court (la dernière née et la doyenne de l’humanité), il y a toujours plus jeune et plus vieux que nous. Il est d’ailleurs impossible d’après l’OMS de donner une définition de ce qu’est une personne âgée.

Les très jeunes enfants ne sont pas âgistes, mais certains parents veulent protéger leurs enfants de la vue des vieillards en transposant leur propre rejet du vieillissement. Ce rejet n’est pas dû seulement, à la peur de la mort ou la frayeur de la dépendance, mais bel et bien à l’aspect physique, à l’éloignement du visage, du corps, de l’attitude, des critères de beauté supposés (imposés ?). Le regard des uns et des autres pose problème car il y a tout un système de valeurs ancré dans nos sociétés qui valorise le non-vieillissement physique.

Vieillir ce serait mal ?

Il est entendu communément que vieillir ce serait se diriger vers un « moins bien ». Est-ce aussi simple ?

Souvent confusément, nous ne distinguons pas deux choses qui devraient l’être : premièrement un refus de vieillir qui serait contre la « mère-nature » qui aurait programmé la mort. Mais vouloir vivre le plus longtemps possible et le mieux possible est tout à fait légitime et nous ne reconnaissons ni dame nature ni aucun dieux : Deuxièmement le refus de voir son corps, son visage devenir vieux et d’être décalé par rapport à la « norme ».

Est-il normal, éthiquement, légalement même, que soit autorisée la vente de crème ouvertement dénommée « anti-âge » ? Il y a malheureusement des produits pour se blanchir la peau et amoindrir la « négritude » et le parallèle est frappant ! L’ensemble de la publicité, même pour des produits liés aux grand âge ou plutôt à la perte d’autonomie, est « vieilliste » mettant en avant la force et la jeunesse. Les représentations des « vieux » dans les médias ont souvent soixante voir cinquante ans… autrement dit, il y a pratiquement deux générations de moins que ce que l’on nomme le grand âge en médecine (85/90 ans) et aussi le moment où certaines personnes acceptent de se considérer comme personnes âgées. Ne confondons pas le refus de vieillir, peu réaliste, et le refus d’être considéré comme vieux, légitime.

Le rejet à l’âge/l’espérance de vie

Si l’on ne combat pas l’âgisme dans un monde où l’espérance de vie s’est fortement accrue [1], c’est une ghettoïsation des « vieux » qui va se construire, une assignation à domicile massive qui va s’aggraver.

Au delà du rejet physique, de l’atteinte psychologique par une propagande jeuniste de tous les média il y a des discriminations à l’âge de toutes sortes. Citons, celle du refus d’accorder un prêt bancaire à une personne en fonction de son espérance de vie supposée. Il y a les discriminations consistant à faire augmenter les prix des mutuelles en fonction de l’âge ou même de ne plus accepter d’assurer des personnes. Le refus de louer un appartement ou une maison en fait partie.

L’interdiction (ou plus pervers la mise en place d’obstacles ou de freins) de rentrer dans un lieu public (café, restaurant) est fréquente. Mais là il s’agit d’un mélange de discrimination à l’âge et à l’apparence.

Citons dernièrement la volonté du gouvernement népalais d’interdire l’ascension de l’Everest aux personnes âgées. Celle-ci pourrait faire sourire, mais elle met en avant les préjugés que nous mettons en fonction de l’âge. Un film récent sur un homme de plus de quatre-vingt ans décidant de pratiquer un marathon, n’est pas surréaliste [2] et les exceptions se multiplient d’exploits sportifs à tout âge.

Sur les discriminations liées à l’âge et surtout au grand âge, citons celles, pas toutes condamnées :

- Le travail, l’embauche, les licenciements, la formation, la mise à la retraite forcée
- Les propos ou les absences de propos d’individus ou de groupes d’individus sur l’âge
- Le refus d’une mutuelle ou d’une assurance ou sa modulation en fonction de l’âge
- Le refus ou la sur-taxation d’un prêt en raison de l’âge (d’une banque ou d’un magasin)
- Le refus ou des conditions particulières à la location d’un appartement, maison
- Le refus, ou des conditions draconiennes d’accès à des activités (sportives, artistiques, culturelles), quand ce n’est pas l’exclusion
- Des pressions pour éloigner de la vue des enfants les personnes âgées
- Le refus de certains artisans d’intervenir auprès des domiciles des personnes âgées (la peur ne pas être payé s’ils décèdent) ou au contraire d’autres qui surévaluent les prestations.

Ensuite viennent des attitudes plus indirectes.

Citons quelques préjugés qui vont donner un mal-être :

- La conduite automobile des personnes âgées serait plus dangereuse
- L’intelligence serait diminuée…
- La beauté est diminuée…
- Les personnes âgées n’ont plus envie d’amour ou de sexualité
- Les personnes âgées votent toutes à droite.

Sur la conduite, il n’est qu’à se référer aux statistiques qui contredisent fortement ce point.

Les dégâts de la retraite couperet…

Tous les professionnels qui oeuvrant auprès des personnes âgées constatent les dégâts et les non dits de la retraite.

Il est étonnant que celles et ceux qui défendent l’idée que le centre de la vie collective passe d’abord par l’organisation démocratique de la production et sa répartition ne se battent pas pour le libre choix sur la durée du travail.

Beaucoup refusent à juste titre la propagande d’extrême droite qui veut donner un revenu aux femmes pour qu’elles restent à la maison ou expulser des étrangers pour réserver le travail aux « vrais français », mais il faudrait accepter que des gens évoquent que les « vieux » doivent laisser la place aux jeunes. De quel droit ? Dans ces trois cas, cela suppose le postulat absurde que le travail est un gâteau qui se partage !

La retraite obligatoire, une maltraitance avouée dans nos milieux

Il ne faut pas confondre le droit à prendre sa retraite à un certain âge et qu’il faille se battre pour ne pas se faire voler la cotisation du salaire par des groupes privés et le fait que de vouloir évincer les gens à partir d’un certain âge du monde du travail est une violence mortelle au sens entier du terme.

Pourquoi ne pas penser que dans nombre de profession, on ait envie de rester, y compris dans des métiers ressentis par certains comme peu valorisants. Perdre le collectif et le sens de l’utilité est très dur. Tout le monde n’est pas en capacité (ou n’a pas envie) de se transformer en bénévoles. Doit-on être réduit à un rôle exclusif du consumérisme, et par dessus tout du consumérisme culturel ? Le loisir, le divertissement ? Ou se centrer sur la famille ? Etre renvoyé à être grand-père/mère, ce serait cela le sens de la vie ? Quoiqu’il en soit, nombre de personnes se suicident ou sont atteintes d’une forme ou d’une autre de dépression après la retraite, et ce, indépendamment du type de travail qu’effectuaient ces personnes. Un tiers des personnes arrivant à la retraite sont en grande difficulté psychologique dans les mois ou années qui suivent (ou après les six premiers mois d’euphorie).

Nombre de personnes arrivées à la retraite veulent rester dans le travail. Soit elles reprennent une activité en lien avec leur ancien métier, de manière salariée ou bénévole, soit elles se retrouvent employeurs et dirigeants d’associations. 50% des dirigeants employeurs associatifs sont des retraités. Il ne s’agit pas de remettre en question le droit à la retraite, mais d’interpeller sur les conséquences graves de sa forme actuelle et de son rôle dans les représentations liées à l’âge et aux sentiments d’exclusion.

Les milieux professionnels, militants, les familles, tout le monde doit s’interroger sur la nécessité de rendre visible cette discrimination et d’apprécier la portée des dégâts qu’elle occasionne. Et il est important de souligner l’étrange invisibilité d’une discrimination que tout le monde va subir…un jour trop jeune ou trop vieux.

 

Cyrille Gallion

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